mardi 8 août 2017

Les groupes d’intérêts, une nécessité pour l’élaboration des politiques à la prise de décision en Haiti


L’influence du citoyen dans l’élaboration des politiques est d’une importance cruciale pour la démocratie. Les élus ne sont pas les seuls à pouvoir jouer un rôle de représentation. La démocratie, fondée sur des valeurs de liberté et d’égalité, accorde une large place à la liberté d’opinion et d’expression. Selon Lathan, la structure de la société est associative et les groupes en sont la base. Les groupes d’intérêts (association professionnelle, Think Tank, syndicats, groupes de consommateurs, etc.) sont vitaux à l’exercice de la démocratie moderne dans un contexte où les représentants auraient tendance à favoriser leurs intérêts personnels au détriment du bienêtre public. Ils permettent aux citoyens de participer aux débats en y présentant leurs intérêts et en garantissant ainsi une démocratie plus participative.

Les besoins de l’homme étant illimités et les ressources existantes limitées, il est donc appelé à faire des choix. Il est par conséquent contraint de prendre des décisions controversées en raison des différents groupes sociaux existant à l’intérieur de la société, celle-ci étant divisée en plusieurs classes ou groupes sociaux suivant le niveau de revenu, le type de profession ou encore la catégorie d’activités dans laquelle elle s’inscrit. Il est donc commode que les intérêts des différents groupes de la société divergent. Les groupes sociaux étant en constantes interactions dans la société, les actions des uns influencent la situation des autres.

Toutefois, les choix ne sont jamais neutres. L’État, né des problèmes de cohésion entre les classes sociales, devrait pouvoir assurer l’optimalité des choix entre les besoins des classes. Pourtant, il arrive que l’État lui-même soit un centre de luttes de classes et d’intérêts. Le mythe de l’État jacobin, porteur d’une cohérence majestueuse qui le placerait au-dessus des intérêts particuliers, ne résiste pas à l’observation de l’État en action. Ainsi, la politique est-elle vue comme le résultat d’un constant marchandage entre des groupes qui ont tous un moyen de pression sur l’État.

Une décision de politique relève de l’action de l’État. Selon Dye (1976), cette décision implique « tout ce qu’un gouvernement décide de faire ou de ne pas faire ». Elle désigne les interventions d’une autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique de la société dans l’optique d’obtenir une modification ou une évolution d’une situation donnée.

 Les objectifs d’une décision de politique ne profiteraient pas à tous, elle présente à la fois des ressources et des contraintes du fait que leurs impacts diffèrent selon les composantes de la société. Ce qui peut provoquer des troubles sociaux et léser certains intérêts. Ainsi, une politique publique estelle vue comme « un construit social et un construit de recherche ». Un construit social, puisqu’elle est le produit d’acteurs sociaux et de leurs interactions et un construit de recherche, car elle permet de comprendre et de voir comment y arriver.

 Les groupes d’intérêts sont des entités cherchant à représenter les intérêts d’une section spécifique de la société dans l’espace public . Ils sont définis comme des associations d’individus, généralement organisées formellement, qui tentent d’influencer les politiques publiques. Un groupe d’intérêt est donc un groupe social plus ou moins bien organisé qui exerce une pression sur les pouvoirs publics afin de défendre leurs intérêts particuliers, qu’ils soient économiques, matériels, financiers, humanitaires ou moraux.

La présence et l’implication des groupes d’intérêts dans le processus décisionnel sont des facteurs positifs, ils constituent une voie de représentation d’intérêts particuliers auprès des pouvoirs publics. Ils améliorent la qualité des politiques et favorisent la prise de décision éclairée, ils donnent la crédibilité aux politiques gouvernementales . Le professeur Chéry soutient que ces groupes rendent les citoyens aptes à créer des biens collectifs en assurant que l’initiative soit uniquement de la volonté des citoyens et non mis sur pied pour des motifs politiques. Cela provoque une nouvelle forme de relation entre les citoyens, la société et l’État. Il exige une nouvelle façon à l’État de concevoir ces citoyens.

 Dans la société haïtienne, on constate la quasi-absence d’acteurs ou de groupes formels défendant des intérêts de différents groupes socioprofessionnels ou encore différents groupes de consommateurs. Il y a des associations socioprofessionnelles qui représentent un secteur d’activité, mais qui ne sont pas représentatives : des gens qui parlent au nom d’un secteur, mais sans être légitimes. On est en présence d’un vide d’organisation sociale que chacun essaie d’utiliser pour ses propres intérêts. En gros, dans les soidisant négociations, ce ne sont plus ces gens qui décident, mais plutôt les chargés publics. C’est donc l’appât des gains qui les motivent. Toutefois, la faiblesse de certains groupes d’intérêts fragilise les relations avec l’autorité publique (manque d’information pertinente le concernant, avoir les moyens pour défendre ses intérêts, prise en compte des citoyens inactifs dans le groupe). Si nous prenons l’exemple d’un groupe d’intérêt qui domine l’actualité, le syndicat des chauffeurs et propriétaires de véhicules, très connu comme groupe d’intérêt et groupe de pression qui jouit d’un quasi-monopole dans la société. Ce groupe assure à l’insu de tous les canaux quand le gouvernement veut augmenter les prix aux pompes. Cela suscite de multiples questions telles que : les chauffeurs et propriétaires de véhicules de transports sontils les seuls à utiliser l’essence ? Quand est-ce que cette structure a fait des recommandations à l’État concernant le secteur ? Y a-t-il un moment où ils ont sollicité une baisse des prix aux pompes ? Ils représentent quels intérêts ? Quelles sont les bases de ces négociations ? Quels citoyens prétendent-ils représenter ? Quel mandat les citoyens ont-ils conféré à ce groupe ?

 L’essence étant un produit transversal, il implique plusieurs sous-groupes de la société. Qu’arrive-t-il à ceux qui n’ont pas les moyens de se faire entendre ? Il faut de la concurrence entre les groupes d’intérêts pour qu’un groupe ne soit pas en mesure d’imposer une décision selon ses seuls intérêts. Il faut une réglementation (transparence, éthique et déontologique, sanctions) des activités d’influence afin d’accroître la confiance des citoyens.

 D’autres préoccupations naissent de l’inexistence de groupes de métiers. Prenons le cas des ébénistes, combien de temps encore allez-vous garder le silence alors que l’État achète de nouveaux bureaux importés chaque année ? Les paysans qui cultivent le riz, attendez-vous qu’une politique vienne vous intégrer dans les cantines scolaires ? Les associations de métiers, les consommateurs, pourquoi vouloir attendre que les solutions pleuvent ? Les débats ne suffisent pas. Réunissez-vous et définissez vos moyens de pression. Soyez des contre-pouvoirs. Il faut de la concurrence entre les groupes pour faire entendre vos intérêts afin d’atteindre l’équilibre social. Il faut venir avec vos propositions de politiques, créer vos propres canaux pour influencer les politiques de nos élus.


 Anderson Tibeaud

vendredi 4 août 2017

L'Etat et les Citoyens

Et si l’État entretenait un meilleur rapport avec ses citoyens à travers l’économie


La nature des relations entre les différents groupes de la société est symptomatique du type de rapport entretenu par l’État avec les citoyens à travers l’économie. L’État précède la nation et il a un devoir de reconnaissance envers les composantes de la nation, dont il tient sa légitimité.

La société haïtienne actuelle porte les séquelles de l’époque coloniale basée sur des privilèges où ceux qui veulent jouir des bienfaits de l’économie s’accrochent de plus en plus au pouvoir. Il en découle une société où l’on a, d’un côté, les partisans du pouvoir et l’élite et d’un autre côté, la grande masse des citoyens. La population, formant la majorité des citoyens, est exclue systématiquement dans la distribution des richesses de l’économie nationale. Son accessibilité à la richesse du pays n’a même pas été définie.

Figure d’autorité et de contrainte collective au service de la nation, l’État a le devoir de s’organiser et de se structurer afin d’assurer l’harmonisation de la société. Il en résulte que la nature des relations entre cette superstructure et le citoyen est très déterminante dans la gouvernance du système économique.

En Haïti, on est face à un État qui ne se soucie guère d’améliorer les conditions de vie des citoyens. Quand les autorités sont obligées d’évoquer les citoyens dans leurs interventions publiques, elles utilisent vaguement le terme « le Peuple » comme pour signifier des gens sans aucun droit et à qui on accorde une faveur. Et à chaque intervention faite auprès des citoyens, elles en parlent comme d’un engagement à prendre, comme si elles venaient à peine de réaliser qu’elles ont des citoyens sous leur responsabilité. Il est donc certainement difficile d’octroyer des biens et services à des gens qui n’ont pas de droits reconnus légitimes.

L’État n’a pas encore la volonté de créer un cadre propice aux activités économiques pouvant améliorer le bien-être matériel et social du citoyen. L’État ne s’intéresse qu’à grossir les recettes à travers l’activité des secteurs de l’économie, la sphère productive et la politique de l’emploi ne l’intéressent guère. Ceci se voit à travers les pratiques fiscales où l’État cherche de nouvelles pistes pour augmenter les recettes notamment sur les frais des transferts de la diaspora, au lieu de mettre en place des politiques devant augmenter la taille du marché pour accroître la création de richesses. Le système fiscal est construit autour de prélèvements fiscaux sans promesse pour le contribuable. Il concourt simplement à combler certains déficits de l’État au lieu de favoriser à une meilleure redistribution des richesses. Il ne s’intéresse pas à mieux gérer les ressources ni à corriger ses mauvaises pratiques. Le citoyen n’est pas sa cible. Ce qui compte c’est de prélever les taxes et impôts pour l’assiette fiscale ou, mieux, pour supporter son administration et ses partisans.

L’État a tort de croire que des programmes sociaux pourraient arriver à combler l’attente des citoyens. On fait des citoyens des assistés et des votants conditionnés. C’est pourquoi la politique prime sur tout en Haïti. Elle prime comme moyen de nouer le dialogue avec l’État. C’est seulement dans ce champ que le citoyen se voit important. C’est le mode d’accès défini par l’État pour accéder à la richesse dans l’économie, car les maigres richesses sont partagées entre partisans et l’élite. Certains citoyens sont exclus publiquement de la jouissance des biens et service publics à travers l’ énoncé des dirigeants du genre « l’État est pauvre », « l’État ne peut rien faire », « l’administration précédente a tout emporté », et patati et patata. D’après des économistes , c’est comme si on voulait dire aux citoyens qu’il n’y en a pas assez pour tout le monde. Ceci prend la forme d’une volonté de ne pas éduquer le citoyen et pousser ces rares ressources intellectuelles à quitter le pays.

Des citoyens se plaignent de la négligence de l’État envers certains secteurs de la vie nationale , d’autres stigmatisent les mauvais traitements que subissent leurs concitoyens à l’étranger qui sont abandonnés à leur sort : l’État n’a aucun projet pour ses citoyens. C’est pourquoi, leurs revendications passeront inaperçues si elles ne nuisent pas la société ou à l’État lui-même. Donc, l’État entretient une relation de dominant et de dominés avec le citoyen.

La relation qu’entretient l’État avec ses citoyens n’a jamais fait débat dans la société haïtienne. Les droits dont les citoyens jouissent dans certains pays ne trouvent pas automatiquement l’adhésion de nos dirigeants. La forme de gouvernement importe peu. Tout réside dans la nature de la relation entre l’État et les citoyens à travers l’économie. Sans la reconnaissance des droits du citoyen en tant que créanciers de l’État, on aura beau faire des analyses sur les résultats de l’activité économique, puisque les choix de politiques ne visent pas à améliorer les conditions de vie depuis leur conception.

 À quoi sert l’État si le bien-être du citoyen n’est pas son objectif ? À quoi sert l’économie si les activités ne permettent pas aux citoyens de s’épanouir ? L’État doit stimuler la création de richesses dans l’économie afin que le citoyen arrive à s’insérer dignement dans la société. Il faut une nouvelle relation entre l’État et les citoyens en plaçant celui- ci au centre des décisions. Pour cela, il faut une nouvelle société qui aura des incitations de l’État à investir dans les domaines comme (l’éducation, la santé, la sécurité publique, etc.), donc, dans le citoyen afin que tous arrivent à l’égalité économique, sociale et politique. Un État qui assure les besoins de base en offrant l’égalité de chances et d’opportunités pour tous, citoyens paysans ou citadins.

Anderson Tibeaud

Économiste quantitativiste

Références
 
La structuration de l'économie et la réforme de l'État en Haïti de Frédéric G. Chéry (2012)
Traité de science politique de Georges Burdeau
Les racines historiques de l’État duvaliériste (1987), Michel Ralph Trouillot
Les groupes d’intérêts, une nécessité pour l’élaboration des politiques à la prise de décision en Haiti


L’influence du citoyen dans l’élaboration des politiques est d’une importance cruciale pour la démocratie. Les élus ne sont pas les seuls à pouvoir jouer un rôle de représentation. La démocratie, fondée sur des valeurs de liberté et d’égalité, accorde une large place à la liberté d’opinion et d’expression. Selon Lathan, la structure de la société est associative et les groupes en sont la base. Les groupes d’intérêts (association professionnelle, Think Tank, syndicats, groupes de consommateurs, etc.) sont vitaux à l’exercice de la démocratie moderne dans un contexte où les représentants auraient tendance à favoriser leurs intérêts personnels au détriment du bienêtre public. Ils permettent aux citoyens de participer aux débats en y présentant leurs intérêts et en garantissant ainsi une démocratie plus participative.

Les besoins de l’homme étant illimités et les ressources existantes limitées, il est donc appelé à faire des choix. Il est par conséquent contraint de prendre des décisions controversées en raison des différents groupes sociaux existant à l’intérieur de la société, celle-ci étant divisée en plusieurs classes ou groupes sociaux suivant le niveau de revenu, le type de profession ou encore la catégorie d’activités dans laquelle elle s’inscrit. Il est donc commode que les intérêts des différents groupes de la société divergent. Les groupes sociaux étant en constantes interactions dans la société, les actions des uns influencent la situation des autres.

Toutefois, les choix ne sont jamais neutres. L’État, né des problèmes de cohésion entre les classes sociales, devrait pouvoir assurer l’optimalité des choix entre les besoins des classes. Pourtant, il arrive que l’État lui-même soit un centre de luttes de classes et d’intérêts. Le mythe de l’État jacobin, porteur d’une cohérence majestueuse qui le placerait au-dessus des intérêts particuliers, ne résiste pas à l’observation de l’État en action. Ainsi, la politique est-elle vue comme le résultat d’un constant marchandage entre des groupes qui ont tous un moyen de pression sur l’État.

Une décision de politique relève de l’action de l’État. Selon Dye (1976), cette décision implique « tout ce qu’un gouvernement décide de faire ou de ne pas faire ». Elle désigne les interventions d’une autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique de la société dans l’optique d’obtenir une modification ou une évolution d’une situation donnée.

 Les objectifs d’une décision de politique ne profiteraient pas à tous, elle présente à la fois des ressources et des contraintes du fait que leurs impacts diffèrent selon les composantes de la société. Ce qui peut provoquer des troubles sociaux et léser certains intérêts. Ainsi, une politique publique estelle vue comme « un construit social et un construit de recherche ». Un construit social, puisqu’elle est le produit d’acteurs sociaux et de leurs interactions et un construit de recherche, car elle permet de comprendre et de voir comment y arriver.

 Les groupes d’intérêts sont des entités cherchant à représenter les intérêts d’une section spécifique de la société dans l’espace public . Ils sont définis comme des associations d’individus, généralement organisées formellement, qui tentent d’influencer les politiques publiques. Un groupe d’intérêt est donc un groupe social plus ou moins bien organisé qui exerce une pression sur les pouvoirs publics afin de défendre leurs intérêts particuliers, qu’ils soient économiques, matériels, financiers, humanitaires ou moraux.

La présence et l’implication des groupes d’intérêts dans le processus décisionnel sont des facteurs positifs, ils constituent une voie de représentation d’intérêts particuliers auprès des pouvoirs publics. Ils améliorent la qualité des politiques et favorisent la prise de décision éclairée, ils donnent la crédibilité aux politiques gouvernementales . Le professeur Chéry soutient que ces groupes rendent les citoyens aptes à créer des biens collectifs en assurant que l’initiative soit uniquement de la volonté des citoyens et non mis sur pied pour des motifs politiques. Cela provoque une nouvelle forme de relation entre les citoyens, la société et l’État. Il exige une nouvelle façon à l’État de concevoir ces citoyens.

 Dans la société haïtienne, on constate la quasi-absence d’acteurs ou de groupes formels défendant des intérêts de différents groupes socioprofessionnels ou encore différents groupes de consommateurs. Il y a des associations socioprofessionnelles qui représentent un secteur d’activité, mais qui ne sont pas représentatives : des gens qui parlent au nom d’un secteur, mais sans être légitimes. On est en présence d’un vide d’organisation sociale que chacun essaie d’utiliser pour ses propres intérêts. En gros, dans les soidisant négociations, ce ne sont plus ces gens qui décident, mais plutôt les chargés publics. C’est donc l’appât des gains qui les motivent. Toutefois, la faiblesse de certains groupes d’intérêts fragilise les relations avec l’autorité publique (manque d’information pertinente le concernant, avoir les moyens pour défendre ses intérêts, prise en compte des citoyens inactifs dans le groupe). Si nous prenons l’exemple d’un groupe d’intérêt qui domine l’actualité, le syndicat des chauffeurs et propriétaires de véhicules, très connu comme groupe d’intérêt et groupe de pression qui jouit d’un quasi-monopole dans la société. Ce groupe assure à l’insu de tous les canaux quand le gouvernement veut augmenter les prix aux pompes. Cela suscite de multiples questions telles que : les chauffeurs et propriétaires de véhicules de transports sontils les seuls à utiliser l’essence ? Quand est-ce que cette structure a fait des recommandations à l’État concernant le secteur ? Y a-t-il un moment où ils ont sollicité une baisse des prix aux pompes ? Ils représentent quels intérêts ? Quelles sont les bases de ces négociations ? Quels citoyens prétendent-ils représenter ? Quel mandat les citoyens ont-ils conféré à ce groupe ?

 L’essence étant un produit transversal, il implique plusieurs sous-groupes de la société. Qu’arrive-t-il à ceux qui n’ont pas les moyens de se faire entendre ? Il faut de la concurrence entre les groupes d’intérêts pour qu’un groupe ne soit pas en mesure d’imposer une décision selon ses seuls intérêts. Il faut une réglementation (transparence, éthique et déontologique, sanctions) des activités d’influence afin d’accroître la confiance des citoyens.

 D’autres préoccupations naissent de l’inexistence de groupes de métiers. Prenons le cas des ébénistes, combien de temps encore allez-vous garder le silence alors que l’État achète de nouveaux bureaux importés chaque année ? Les paysans qui cultivent le riz, attendez-vous qu’une politique vienne vous intégrer dans les cantines scolaires ? Les associations de métiers, les consommateurs, pourquoi vouloir attendre que les solutions pleuvent ? Les débats ne suffisent pas. Réunissez-vous et définissez vos moyens de pression. Soyez des contre-pouvoirs. Il faut de la concurrence entre les groupes pour faire entendre vos intérêts afin d’atteindre l’équilibre social. Il faut venir avec vos propositions de politiques, créer vos propres canaux pour influencer les politiques de nos élus.


 Anderson Tibeaud

Les groupes d’intérêts, une nécessité pour l’élaboration des politiques à la prise de décision en Haiti


L’influence du citoyen dans l’élaboration des politiques est d’une importance cruciale pour la démocratie. Les élus ne sont pas les seuls à pouvoir jouer un rôle de représentation. La démocratie, fondée sur des valeurs de liberté et d’égalité, accorde une large place à la liberté d’opinion et d’expression. Selon Lathan, la structure de la société est associative et les groupes en sont la base. Les groupes d’intérêts (association professionnelle, Think Tank, syndicats, groupes de consommateurs, etc.) sont vitaux à l’exercice de la démocratie moderne dans un contexte où les représentants auraient tendance à favoriser leurs intérêts personnels au détriment du bienêtre public. Ils permettent aux citoyens de participer aux débats en y présentant leurs intérêts et en garantissant ainsi une démocratie plus participative.

Les besoins de l’homme étant illimités et les ressources existantes limitées, il est donc appelé à faire des choix. Il est par conséquent contraint de prendre des décisions controversées en raison des différents groupes sociaux existant à l’intérieur de la société, celle-ci étant divisée en plusieurs classes ou groupes sociaux suivant le niveau de revenu, le type de profession ou encore la catégorie d’activités dans laquelle elle s’inscrit. Il est donc commode que les intérêts des différents groupes de la société divergent. Les groupes sociaux étant en constantes interactions dans la société, les actions des uns influencent la situation des autres.

Toutefois, les choix ne sont jamais neutres. L’État, né des problèmes de cohésion entre les classes sociales, devrait pouvoir assurer l’optimalité des choix entre les besoins des classes. Pourtant, il arrive que l’État lui-même soit un centre de luttes de classes et d’intérêts. Le mythe de l’État jacobin, porteur d’une cohérence majestueuse qui le placerait au-dessus des intérêts particuliers, ne résiste pas à l’observation de l’État en action. Ainsi, la politique est-elle vue comme le résultat d’un constant marchandage entre des groupes qui ont tous un moyen de pression sur l’État.

Une décision de politique relève de l’action de l’État. Selon Dye (1976), cette décision implique « tout ce qu’un gouvernement décide de faire ou de ne pas faire ». Elle désigne les interventions d’une autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique de la société dans l’optique d’obtenir une modification ou une évolution d’une situation donnée.

 Les objectifs d’une décision de politique ne profiteraient pas à tous, elle présente à la fois des ressources et des contraintes du fait que leurs impacts diffèrent selon les composantes de la société. Ce qui peut provoquer des troubles sociaux et léser certains intérêts. Ainsi, une politique publique estelle vue comme « un construit social et un construit de recherche ». Un construit social, puisqu’elle est le produit d’acteurs sociaux et de leurs interactions et un construit de recherche, car elle permet de comprendre et de voir comment y arriver.

 Les groupes d’intérêts sont des entités cherchant à représenter les intérêts d’une section spécifique de la société dans l’espace public . Ils sont définis comme des associations d’individus, généralement organisées formellement, qui tentent d’influencer les politiques publiques. Un groupe d’intérêt est donc un groupe social plus ou moins bien organisé qui exerce une pression sur les pouvoirs publics afin de défendre leurs intérêts particuliers, qu’ils soient économiques, matériels, financiers, humanitaires ou moraux.

La présence et l’implication des groupes d’intérêts dans le processus décisionnel sont des facteurs positifs, ils constituent une voie de représentation d’intérêts particuliers auprès des pouvoirs publics. Ils améliorent la qualité des politiques et favorisent la prise de décision éclairée, ils donnent la crédibilité aux politiques gouvernementales . Le professeur Chéry soutient que ces groupes rendent les citoyens aptes à créer des biens collectifs en assurant que l’initiative soit uniquement de la volonté des citoyens et non mis sur pied pour des motifs politiques. Cela provoque une nouvelle forme de relation entre les citoyens, la société et l’État. Il exige une nouvelle façon à l’État de concevoir ces citoyens.

 Dans la société haïtienne, on constate la quasi-absence d’acteurs ou de groupes formels défendant des intérêts de différents groupes socioprofessionnels ou encore différents groupes de consommateurs. Il y a des associations socioprofessionnelles qui représentent un secteur d’activité, mais qui ne sont pas représentatives : des gens qui parlent au nom d’un secteur, mais sans être légitimes. On est en présence d’un vide d’organisation sociale que chacun essaie d’utiliser pour ses propres intérêts. En gros, dans les soidisant négociations, ce ne sont plus ces gens qui décident, mais plutôt les chargés publics. C’est donc l’appât des gains qui les motivent. Toutefois, la faiblesse de certains groupes d’intérêts fragilise les relations avec l’autorité publique (manque d’information pertinente le concernant, avoir les moyens pour défendre ses intérêts, prise en compte des citoyens inactifs dans le groupe). Si nous prenons l’exemple d’un groupe d’intérêt qui domine l’actualité, le syndicat des chauffeurs et propriétaires de véhicules, très connu comme groupe d’intérêt et groupe de pression qui jouit d’un quasi-monopole dans la société. Ce groupe assure à l’insu de tous les canaux quand le gouvernement veut augmenter les prix aux pompes. Cela suscite de multiples questions telles que : les chauffeurs et propriétaires de véhicules de transports sontils les seuls à utiliser l’essence ? Quand est-ce que cette structure a fait des recommandations à l’État concernant le secteur ? Y a-t-il un moment où ils ont sollicité une baisse des prix aux pompes ? Ils représentent quels intérêts ? Quelles sont les bases de ces négociations ? Quels citoyens prétendent-ils représenter ? Quel mandat les citoyens ont-ils conféré à ce groupe ?

 L’essence étant un produit transversal, il implique plusieurs sous-groupes de la société. Qu’arrive-t-il à ceux qui n’ont pas les moyens de se faire entendre ? Il faut de la concurrence entre les groupes d’intérêts pour qu’un groupe ne soit pas en mesure d’imposer une décision selon ses seuls intérêts. Il faut une réglementation (transparence, éthique et déontologique, sanctions) des activités d’influence afin d’accroître la confiance des citoyens.

 D’autres préoccupations naissent de l’inexistence de groupes de métiers. Prenons le cas des ébénistes, combien de temps encore allez-vous garder le silence alors que l’État achète de nouveaux bureaux importés chaque année ? Les paysans qui cultivent le riz, attendez-vous qu’une politique vienne vous intégrer dans les cantines scolaires ? Les associations de métiers, les consommateurs, pourquoi vouloir attendre que les solutions pleuvent ? Les débats ne suffisent pas. Réunissez-vous et définissez vos moyens de pression. Soyez des contre-pouvoirs. Il faut de la concurrence entre les groupes pour faire entendre vos intérêts afin d’atteindre l’équilibre social. Il faut venir avec vos propositions de politiques, créer vos propres canaux pour influencer les politiques de nos élus.


 Anderson Tibeaud